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Aporie-Testata

Tratto da Edmond About, Rome contemporaine, Paris, 1861 (About 1861: 121-124).

Mon arrivée n'avait pas interrompu un combat de virtuoses. Tous les dimanches, ou peu s'en faut, quelques amateurs de poésie se réunissent là pour improviser des vers. On les accouple deux par deux, et ils s'escriment tour à tour sur un sujet donné, comme les bergers de Virgile. Le texte ordinaire de leurs improvisations est l'histoire ancienne ou la mythologie. Je ne sais pas où ils ont fait leurs études, mais ils galopent sans broncher dans les champs de la fable et de l'histoire, depuis le chaos jusqu'à la mort de Néron. Si l'on épluchait trop soigneusement leurs vers, on y trouverait peut-être quelques anachronismes de détail, mais la poésie couvre tout de son manteau de pourpre et d'or. La prosodie italienne n'impose pas des lois bien sévère; la rime est facile à trouver dans une langue ou une moitié des mots finit en o et l'autre en a. Mais ce qui m'a le plus étonné dans ces tours de force, c'est le choix presque toujours heureux de l'expression brillante. Le vocabulaire poétique, fort différent du langage familier, s'est conservé, je ne sais comment, dans ces esprits demi-incultes. Un cordonnier qui savait à peine lire nous a débité la guerre de Troie dans le style le plus pompeux et le plus fleuri.
Une mandoline grattée discrètement accompagnait la voix du poète, car les vers se chantent et ne se parlent pas. C'est une sorte de récitatif rhythmé, une mélopée monotone et ronflante. Les Romains ont la voix haute, sonore, et presque toujours emphatique. Il n'y a pas une syllabe de leurs discours d'apparat qui ne soit accentuée par l'orgueil national.

C'est plaisir d'entendre un petit garçon chanter dans la rue:

Auguste empereur romain.

ou

Nous irons au Capitule!

La joute dura une heure et demie, et je regrettai de n'avoir ni plume ni crayon pour vous sténographier quelques vers. Les applaudissements de l'auditoire étaient la récompense des vainqueurs; les sifflets et les huées punissaient le vaincu, dès que sa langue commençait à s'embarrasser. Le cordonnier de la guerre de Troie garda l'avantage assez longtemps, mais il fut battu à plate couture par un tanneur du quartier de la Regola. Tout paraissait fini, et le tanneur remettait déjà sa veste pour aller dormir sur ses lauriers, quand une femme se leva d'une table voisine et se plaça devant lui, les poings sur la hanche. C'était sans mentir une créature magnifique, large, haute et belle, telle à peu près qu'on se représente les louves du temps des rois. J'ai su qu'elle était blanchisseuse, et son mari souffleur de verre.
«Vous n'y entendez rien, dit-elle, et c'est moi qui vous battrai tous. Toi, prends ta mandoline.» Elle partit de l'origine du monde et s'avança d'un pas ferme à tra vers l'histoire des dieux. La gaillarde possédait sa mythologie comme Hésiode lui-même. Bientôt elle entra de plain-pied dans la guerre de Troie, sauva Énée de l'incendie, l'amena au pays des Latins, rossa Turnus et tous les autres, sauta d'un bond à la naissance de Romulus, chassa les rois avec Lucrèce, conduisit les armées de la république à la conquête du monde, débrouilla le chaos des guerres civiles, applaudit Cicéron, tua César aux pieds de la statue de Pompée, mit Auguste sur le trône, renversa les empereurs les uns sur les autres comme des capucins de cartes, et finit par une invocation directe à la madone qui lui souriait derrière une lampe, avec un enfant dans les bras.
Elle allait droit devant elle, se reprenant quelquefois, ne s'arrêtant jamais, remplaçant un mot par un autre, recommençant la tirade applaudie et la corrigeant sans y penser. Ses yeux brillaient comme ceux d'une pythonisse; sa voix tremblait de plaisir; son geste simple et un peu trop régulier scandait le verset appuyait sur la phrase. Elle fut applaudie comme on sait applaudir ici. Ni le cordonnier ni le tanneur n'entreprirent de lui répondre, et elle retourna toute rouge auprès de son homme qui avait tenu l'enfant pendant ce temps-là.